L'arbre > R
L'être est noueux, comme si la sève, en poussant, avait percuté un air chargé de résistances, et avait dû forcer pour mériter la vie. Le tronc épaissi dans les siècles s’enserre plusieurs fois lui-même.
Il ne porte aucun nom. Les gens, ici, disent simplement «l’arbre», tout le monde comprend. Il paraît plus vieux que la butte qui le porte, et c’est lui qui semble à son origine dans ce lieu d’inhospitalité.
Grue-de-Bois -on ne le voit plus guère de nos jours- dit que la terre est venue après, qu’elle est une immense agglomération entre ses racines. Il prétend que les deux ramures de l’arbre, celle qui tient le sol et celle qui tient le ciel, figurent l'harmonie. A croire le vieux, il y aurait neuf arbres, en tout et pour tout, dans l’univers. Le reste, ce ne sont que des rejetons de forêts.
Ce qui fait de notre village un endroit particulier, parce qu’on y trouve un des neufs, sur les bords de l'Irs, précisément là où les filles chantent et battent en choeur le linge.
Note : ce récit forme un carreau dans la mosaïque d'un prochain univers.
Carreau 1-9